J’ai vu un immeuble fantôme à Paris

L’information avait circulé et « fait le buzz » il y a quelques mois sur Internet (alors que ce n’était pas une vraie actu) et retenu mon attention : la présence au 145 rue Lafayette, à quelques encablures de la Gare du Nord, d’un faux immeuble. Qui a tout l’air d’un vrai. Je suis allé sur place voir par moi-même ce bâtiment fantôme, où personne n’habite ni ne squatte et dont la plupart des passants ignorent la facticité (beaucoup m’ont ainsi regardé bizarrement quand je prenais mes photos). A première vue, rien ne le distingue effectivement des autres :

P1100382En pratique, cette fausse façade – en vraie pierre de taille – masque une énorme cheminée d’aération de la RATP, propriétaire des lieux. Chose que l’on peut vérifier aisément via l’image satellitaire fournie par Google. On voit bien qu’il n’y a rien derrière, à part des grilles.

Capture d’écran 2014-01-07 à 18.17.38En zoomant à travers quelques fenêtres ouvertes, on peut apercevoir certaines de ces grilles métalliques.

P1100394Au rez-de-chaussée se trouvent une porte d’entrée et de garage en (faux) bois. Bizarrement, la façade affiche peu de tags (qui pullulent pourtant à Paris), stickers et coups de feutres (« Bibiche, je t’M ») en tous genres. La RATP entretient spécifiquement ce lieu, il faut croire, comme en témoignent les coups de peinture niveau rue, plus ou moins récents.

P1100395P1100399 P1100398Cet immeuble illusoire est évidemment sale, mais pas davantage que d’autres, bien réels, eux, dans la capitale (pourtant soumise à des règles drastiques en matière de ravalement). Les concepteurs de ce camouflage architectural ont même poussé le sens du détail jusqu’à placer un faux balcon au niveau du deuxième étage. Juste en dessous, quelqu’un a réussi à se hisser pour aller placarder un autocollant « Respect droit de grève ».

P1100388P1100397Se retrouver devant cet artifice laisse une drôle d’impression. Ce décor planté au sein d’une rue animée rend songeur. On a envie d’entrer, voir ce qu’il y a derrière les apparences, alors qu’il n’y a évidemment rien de bien ragoûtant à dégoter (des grilles, de la saleté, de la ventilation, du bruit, l’odeur de croquette du métro, de l’amiante probablement). Selon 20 minutes, ce faux bâtiment date des années 80 et de la mise en place du RER B. Il en existe d’autres (mais combien) dans la ville, comme rue Auber. Je me demande si d’autres grandes villes françaises ont aussi droit à ces imitations ?

Dans mes recherches sur cette curiosité urbanistique, je suis tombé sur ce passage tiré de l’excellent Pendule de Foucault du génial Umberto Eco (que j’ai lu il y a bien longtemps : je n’ai pas gardé souvenir de cette mention). Il faut dire que le lieu collait admirablement à ce  roman érudit, parsemé d’énigmes et de théories complotistes. Voici ce qu’il écrivait en 1992 :

– N’avez-vous jamais été au numéro 145 de la rue Lafayette?
 —- J’avoue que non.
 —- Un peu hors de portée, entre la gare de l’Est et la gare du Nord. Un édifice d’abord indiscernable. Seulement si vous l’observez mieux, vous vous rendez compte que les portes semblent en bois mais sont en fer peint, et que les fenêtres donnent sur des pièces inhabitées depuis des siècles. Jamais une lumière. Mais les gens passent et ne savent pas.
– Ne savent pas quoi?
– Que c’est une fausse maison. C’est une façade, une enveloppe sans toit, sans rien à l’intérieur. Vide. Ce n’est que l’orifice d’une cheminée. Elle sert à l’aération ou à évacuer les émanations du RER. Et quand vous le comprenez, vous avez l’impression d’être devant la gueule des Enfers; et que seulement si vous pouviez pénétrer dans ces murs, vous auriez accès au Paris souterrain. Il m’est arrivé de passer des heures et des heures devant ces portes qui masquent la porte des portes, la station de départ pour le voyage au centre de la terre. Pourquoi croyez-vous qu’ils ont fait ça?
– — Pour aérer le métro, vous avez dit.
– — Les bouches d’aération suffisaient. Non, c’est devant ces souterrains que je commence à avoir des soupçons. Me comprenez-vous?

Il n’y a nulle gueule des Enfers ici. Juste un gigantesque conduit d’aération camouflé par une façade en pierre. Mais c’est déjà pas mal, quand on aime comme moi les incongruités de la ville.

6 réflexions au sujet de « J’ai vu un immeuble fantôme à Paris »

  1. Ping : Ici, il y a avait une gare | Encore un fripi !

  2. Ping : Voici le plus vieux restaurant du monde | Encore un fripi !

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